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La valeur cachée d'une étude de marché
Une étude de marché, c'est du capital. Du capital, on le fait fructifier.
J’ai réécrit cet épisode presqu’un an après sa publication. Il partait un peu dans tous les sens et me cringeait au dernier degré.
Toutes les startups débutent leur aventure par une étude de marché. Alors, c’est vrai “étude de marché” sonne très scolaire, mais c’est pas grave : ça demeure un bon moyen de s’approprier un sujet.
Aucun génie requis — juste de l’assiduité : recherches google, interviews, prise de notes, … Les étapes sont claires, et, jusqu’à preuve du contraire, sont la meilleure façon d’éviter le hors sujet.
Bref, faire une étude de marché bien ficelée n’est pas si complexe. Le problème, c’est que beaucoup s’arrêtent là. Alors qu’un simple changement de regard permet de voir l’étude de marché telle qu’elle est : du capital.
Pour montrer comment tirer beaucoup plus de valeur d’une étude de marché, je vais :
raconter l’aventure qui m’a inspiré cet épisode
montrer qu’il y a un rapport avec le growth engineering (accessoirement)
donner quelques conseils pour faire une étude de marché de qualité allemande
donner quelques clés pour faire fructifier une étude de marché
Et avant de commencer, j’ajouterai que tout ce que j’écris est aussi valable pour les entreprises installées qui n’en sont plus à leurs balbutiements. Il suffit de substituer “user research” à “étude de marché” dans tout ce qui va suivre.
Recruitivity : démarrage sur les chapeaux de roues
J’ai compris qu’une étude de marché pouvait devenir une mine d’or presque par sérendipité, au lancement de Recruitivity, l’agence que j’ai essayé de lancer en 2022.
Par hasard, j’ai compris que j’étais en train de construire le premier actif de ma boîte…
Eviter le tunnel de production
Mai 2022 : je finis mes études à CentraleSupélec
95% de la promo part en stage de fin d’études, sauf 30 élèves. Les 30 membres de la filière entrepreneuriat de l’école dont je fais partie lancent leurs projets.
La plupart ont des idées d’entreprises bien définies. Pour ma part, je n’ai qu’une idée vague — un secteur pour être exact : le recrutement.
Juin 2022 : coup d’envoi du projet
L’ingé cliché est obsédé par la construction de sa solution, plus que par la résolution d’un problème concret du marché.
Il a envie de construire un produit et il est prêt à s’enfermer des mois pour le fabriquer. Sur le chemin, il trouvera éventuellement un problème un peu bidon pour en justifier la création. Et, à la sortie, s’étonnera que personne n’en veuille.
Ce mal, il a un nom : tunnel de production. Sauf qu’il est simple à éviter en réalité : il suffit de parler à des humains plutôt qu’à des ordis.
Et comme je veux aider les recruteurs, c’est à eux que je décide de parler en juin 2022.
Juin 2022 - Septembre 2022 : étude de marché
Je parle à tous les types de recruteurs possibles et imaginables pendant l’été :
Recruteurs dans des grands groupes
Recruteurs indépendants
Recruteurs en scale-ups
Recruteurs en start-ups
Recruteurs en cabinet
Recruteurs en ESN
…
Après 50 entretiens d’en moyenne 1h. Je fais une synthèse de mes échanges et un colossal rapport sur Le Recrutement en 2022. Initialement, ces échanges et la synthèse qui en a découlé n’existaient que pour m’aider à créer une solution pertinente.
Faire d’une pierre deux coups
Changement de regard
Lors des dernières interviews, les recruteurs me disent qu’ils aimeraient bien savoir “ce que pensent leurs confrères”, que ça les intéresserait de “voir ce qu’ils utilisent comme outils”, de “voir quels sont les problèmes qu’ils rencontrent”, etc.
En fait, je comprends que les rares personnes qui font ce que j’ai fait (interviewer longuement des représentants d’un secteur), ne partagent jamais leurs résultats. Les recruteurs sont isolés et voient mal ce que font les autres. Or, ils veulent savoir.
C’est comme ça que je comprends que je possède un actif et qu’il faut absolument le valoriser.
Donc après un peu de ménage dans la synthèse des entretiens, la mise en forme d’une accroche (la liste des 110 outils utilisés par les recruteurs), je publie mes échanges et mes conclusions.
Résultats
Pas mal d’engagement (rien de délirant non plus, soyons honnêtes).
~1000 visites uniques, si on retire les miennes.
Évidemment, de l’engagement pour de l’engagement, n’a aucun intérêt. Mais, au début de mon aventure, ça permet de mettre un petit 📍 “Bastien/Recruitivity” sur la carte RH, d’engager la conversation avec pas mal de monde et de démontrer mon sérieux.
Ça compte, et j’en perçois encore les retombées aujourd’hui : on me contacte toujours à ce sujet.
Bref, ça contribue positivement à ma marque personnelle et j’aurais perdu beaucoup si je n’avais rien partagé.
Faire une étude de marché professionnelle sans s’appeler McKinsey
J’ai dit que c’était pas si difficile de faire une étude de marché bien ficelée. C’est vrai. Et pourtant, un monde sépare un bête Google Form du rapport McKinsey d’un ex-INSEAD avec 10 ans d’expérience.
On pense ce qu’on veut de McKinsey, leurs rapports sont de qualité et c’est cette qualité qu’on veut approcher. Pour y parvenir, je pense qu’il suffit de suivre :
les conseils de cette vidéo de YC
les quelques conseils à suivre
Évidemment, ce n’est pas suffisant pour faire une étude de marché absolument parfaite et sans lacunes, mais c’est une base tout à fait solide de mon point de vue.
Tirer le fil
L’interview orale (en visio s’il faut) est reine. On dispose d’une dimension supplémentaire par rapport à l’écrit : l’intonation. Un interlocuteur qui semble hésitant, en colère ou gêné, est une opportunité à saisir pour en savoir plus : “vous avez l’air d’hésiter, pourquoi ?”
L’empathie est cruciale (et non la sympathie, même si elle aide les langues à se délier). Elle permet, d’une part, d’interpréter au vol les intonations des interlocuteurs (cf. conseil précédent), et, d’autre part, d’analyser le pourquoi profond de leur problème.
Je suggère de toujours reformuler ce qu’on pense avoir compris et de demander confirmation. C’est une stratégie gagnante car, qu’ils aient besoin de rectifier ce qu’on a compris ou non, on démontre qu’on veut percer au cœur des choses.
Mauvaises questions, mauvaises réponses
Les questions oui/non n’aident pas vraiment. On préfèrera les questions ouvertes, qui laissent la possibilité à l’interlocuteur de développer, et à nous de rebondir.
On peut utiliser ChatGPT pour construire un squelette d’interview.
Questions bêtes ⇒ réponses bêtes. Je trouve que c’est une bonne idée de s’envisager comme un podcasteur et de s’inspirer des meilleurs pour poser ses questions :
Chris Williamson pour des questions incisives. Il y parvient grâce à son vocabulaire riche et spécifique (qui se travaille btw).
Sam Parr pour les questions taboos. C’est un bon moyen de casser le rythme, de sortir l’interlocuteur du ronronnement d’une conversation qui devient ennuyeuse et inauthentique, dans laquelle on ne se dit rien d’intéressant.
Les bonnes questions sont souvent intimes (donc sensibles), ce qui signifie qu’il faut avoir la confiance de son interlocuteur et ne pas y aller trop fort, trop vite.
Sky pour ne pas se laisser embobiner. On ne veut pas laisser passer la langue de bois, les réponses politiciennes ou hors sujet. S’ils ne veulent pas répondre, qu’ils le disent.
Pour creuser encore davantage, le livre Stop Asking Questions: How to Lead High-Impact Interviews And Learn Anything From Anyone m’a beaucoup aidé dernièrement (il se lit rapidement).
Les questions préparées en amont de l’interview permettent de découvrir la farce émergée de l’iceberg. La partie immergée, est révélée par les questions posées au vol, en rebondissant sur les réponses de l’interlocuteur — en lui tirant les vers du nez, en fait.
Mettre une synthèse en forme
À ce stade, on a un gros paquet de données qu’il faut synthétiser et mettre en forme. Le but, c’est de couper le bruit et de mettre en lumière un fil rouge. Pour y parvenir, ChatGPT peut encore aider.
Je conseille de reprendre ses notes le jour-même. En fin d’interview, elles seront désorganisées, avec des erreurs, des phrases interrompues, etc. C’est des erreurs qu’on rectifie difficilement ne serait-ce qu’un jour après une nuit de sommeil.
Augmenter facilement la valeur de l’étude de marché
Lister tous les outils mentionnés par ses interlocuteurs et la fréquence à laquelle ils le sont.
Inclure des infos démographiques/sociologiques sur l’interlocuteur et l’entreprise dans laquelle il travaille (age, secteur, séniorité, sexe, études, poste, etc.)
Au court d’un échange, on risque de balayer une multitude de sujets, essentiellement les problèmes de notre interlocuteur.
Certains sont déjà bien identifiés et ont des solutions. Lorsqu’on les connait, il ne faut pas se priver a) d’aider immédiatement l’interlocuteur en lui en faisant part et b) d’intégrer la réponse qu’on lui a donnée à la synthèse.
Normalement, à ce stade on dispose d’une précieuse étude de marché/user research, bien ficelée, qui aidera quiconque la lira.
Elle devrait déjà remplir son premier rôle : nous dire quelle solution développer. Mais il ne faut pas en rester là.
Faire fructifier son capital
Si on y réfléchit bien, qu’on soit entrepreneur, freelance ou même salarié, le but est de créer et faire fructifier du capital (du code, de la recherche, des employés, des processus, une marque, un CRM, du savoir, des compétences, …).
Or, en réalisant cette étude de marché, on a contribué au capital de la (future) entreprise. On a créé un actif. Certes, c’est pas la panacée, mais on peut quand même la faire fructifier.
J’ai quelques idées à cet égard (et j’en ai appliqué une partie).
Employer et réemployer le contenu
Pour commencer, on peut réemployer les résultats de l’étude sur les réseaux sociaux. Il s’agit pas seulement de faire un unique post “regardez, on a fait une grosse étude de marché”, mais de faire une série de posts distincts à partir de chacun des apprentissages de l’étude.
Quelques conseils pour optimiser la publication de l’étude de marché :
Faire une vidéo où on présente l’étude de marché et quelques résultats clés. La vidéo est reine sur la plupart des réseaux et les algorithmes les mettent plus en avant que le reste (en particulier LinkedIn qui a changé de stratégie à ce sujet en 2024).
Demander aux gens de commenter la publication pour avoir accès à l’étude de marché. Ça augmentera significativement la portée du post et d’agrandir son réseau.
On peut bloquer l’accès à une partie (← j’insiste) de l’étude et la débloquer si la personne partage l’étude en question avec un membre qualifié de son réseau.
Vendre
Si on prend un peu de recul, on vient de parler à des dizaines de personnes. Elles nous on fait part de leur problème et nous, on s’est mis en tête de développer une solution pour résoudre l’un d’entre eux.
Dès lors qu’on a une ébauche de solution à proposer, il est probable qu’on puisse la vendre à une partie des personnes qu’on a interrogées.
Poser les bases de son copywriting
Encore une fois, on a écouté des gens nous parler de leurs problèmes en long, en large, et en travers. À chaque fois, ils l’ont fait en utilisant un vocabulaire spécifique, leurs tournures propres, …
Dans les notes prises au cours de ces échanges se trouvent les bases de notre “copywriting” i.e la manière dont on va décrire le problème qu’on résout et sa solution dans notre contenu marketing.
En s’adressant à nos prospects en employant leurs mots et leurs tournures, on leur prouve qu’on comprend leur problème — pas juste intellectuellement.
C’est ce que le choix des bons mots révèle et pour bien les choisir, je conseille vraiment de se référer au contenu de l’étude de marché.
Créer un funnel de demand generation — l’exemple de Malt
Tous les ans, Malt publie un rapport avec le BCG. Il s’agit d’une étude de marché du freelancing en Europe, dont ils tirent des conclusions à partir de données difficiles à trouver ailleurs.
Pourquoi est-ce qu’il faut laisser notre mail pour le lire ? Parce que Malt sait que son rapport intéresse les freelances d’une part, et les entreprises qui font appel à des freelances d’autre part.
Ce sont justement les deux parties prenantes de sa marketplace.
Dès qu’on laisse son mail, on rentre dans une séquence de nurturing éducative sur le freelancing, dont le but, à la longue, est de faire souscrire à Malt.
C’est ce qu’on appelle de la demand generation et c’est là où je veux en venir.
Au même titre que Malt utilise son rapport sur le freelancing pour attirer de nouveaux acteurs sur sa marketplace, il est possible d’utiliser son étude de marché pour construire un funnel de demand generation du même type.
Créer une communauté
Ce qui caractérise une communauté, ce sont les échanges many-to-many (le fait que les membres interagissent avec tous les autres membres). C’est donc différent d’une audience classique, où les échanges ont lieu en one-to-many (un influenceur parle à tous ses membres).
A priori, un vivier de personnes avec un problème commun est un bon point de départ pour une communauté (e.g les alcooliques anonymes). Or, c’est précisément ce dont on dispose après nos interviews : un vivier de personnes avec des problèmes similaires.
Je pense qu’on peut aller un cran plus loin et fédérer les personnes qu’on a interrogées dans une communauté (de beta-testeurs, lorsqu’on développe un logiciel par exemple).
Attention : animer une communauté demande des efforts. Il suffit pas de mettre tout le monde dans un channel Slack et d’attendre que la mayonnaise prenne.
Faire plus avec ce qu’on a déjà
Finalement, dans cet épisode, je vous appelle seulement à vous interroger sur ce qui relève de l’actif dans ce que vous possédez, et sur la manière de le faire fructifier.
Une étude de marché est un exemple parmi d’autres. C’est pour cette raison que je me demande aussi régulièrement que possible comment je pourrais réutiliser ce que j’ai fait pour mes clients.
C’est d’ailleurs ce que je fais avec cette newsletter d’une certaine manière. Je développe ma marque personnelle et mes idées en racontant des choses qui me sont déjà arrivées, en parlant de choses que j’ai déjà lues, en partageant des études de cas que j’ai déjà écrites, …
TL;DR
L’étude de marché est un bon moyen d’éviter le tunnel de production i.e s’enfermer dans une chambre pour développer une solution dont personne ne veut.
Sachant qu’il est recommandé de faire une étude de marché dans l’absolu, on peut alors se demander comment faire d’une pierre deux coups. Mon conseil : publier ladite étude de marché.
Selon moi, faire une bonne étude de marché repose sur ces quelques conseils clés :
Tirer au maximum les fils pendant les entretiens, en rebondissant sur les réponses de nos interlocuteurs.
La qualité des réponses dépend de la qualité des questions. Il y a de nombreuses personnes de qui s’inspirer pour poser de bonnes questions : Chris Williamson, Sam Parr, Sky de Thinkerview, Tim Ferris, …
Une étude marché prend beaucoup de valeur quand ce n’est pas juste un amas de notes d’entretiens mais une synthèse organisée
On peut en augmenter la valeur facilement en listant les outils mentionnés par les interlocuteurs, en listant les solutions qu’on leur a proposées, en ajoutant des données démographiques et sociologiques les concernant, etc.
Une étude de marché peut s’envisager comme du capital. Voici comment le faire fructifier :
En publiant l’étude de marché, mais également en réemployant tout son contenu dans une multitude de posts plus courts.
En demander aux personnes de commenter nos publications pour y accéder.
En faisant du contenu vidéo, roi des réseaux sociaux
En vendant la solution qu’on aura construite à une partie des personnes qu’on a interrogées
En utilisant les notes d’entretien pour poser les bases de son copywriting
En créant un funnel de demand generation i.e envoyer du contenu marketing éducatif aux personnes qui ont laissé leurs informations de contact pour accéder à l’étude de marché
En créant une communauté avec les personnes qu’on a interrogées.
J’encourage à régulièrement regarder ce qu’on a produit et se demander comment est-ce qu’on pourrait le réutiliser intelligemment.
À plus 🖖
Bastien.
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