J’ai réécrit cet épisode quelques temps après sa première publication. Il ne me cringeait pas autant que les précédents mais une repasse était tout de même nécessaire.
Par ailleurs, recruitivity, l’extension chrome dont on discute ici n’est plus maintenue (bien qu’elle soit toujours disponible et fonctionnelle).
On a un problème :


Depuis que recruitivity (ex LinkedIn to Notion, notre extension chrome pour enregistrer des profils LinkedIn dans Notion) existe, la majorité des installations se soldent par des désinstallations. Et encore, c’est sans compter ceux qui ont toujours l’extension mais ne l’utilisent pas.
Entre le 1er et le 27 janvier 2024, seules 40 personnes ont utilisée l’extension :

Ce que je viens de montrer en 3 photos, c’est que recruitivity était un petit tonneau percé. Evidemment, avant de le remplir, il fallait le reboucher. Et “reboucher” — comme pour la plupart des applications — ça voulait dire soigner notre onboarding.
C’est ce dont on va parler dans cet épisode. On va voir :
Que le seul but de l’onboarding, c’est d’arriver au “aha moment” le plus vite possible (i.e d’activer les utilisateurs).
Tout ce qu’on a fait pour améliorer notre onboarding (toboggan, battre le fer tant qu’il est encore chaud, roadmap d’onboarding, nudge, dictature, etc.).
Toutes les bonnes idées qu’on garde en stock pour l’avenir (labor illusion, emails d’onboarding et sound design).
Après, on sortira de l’onboarding, d’abord pour mettre fin au suspens (insoutenable lol) du dernier épisode, ensuite pour parler de sound design et enfin, pour l’épisode 2 de Write In Public.
Retention-first mindset
Réduire la dimension du problème
L’une des métriques les plus importantes pour n’importe quel produit, c’est la rétention (i.e la capacité à conserver ses utilisateurs). Je sors pas cette affirmation de mon chapeau :

Justification extraite de Product-Led Growth de Wes Bush.
Et quand on part de 0, le premier moyen d’améliorer sa rétention, c’est de parfaire son onboarding, et ce, pour plusieurs raisons :
Les premières secondes de l’utilisateur avec un produit comptent beaucoup. On t’offre sa bonne volonté pour la suite, qui pourrait éventuellement lui demander plus d’efforts.
L’utilisateur est plus susceptible de persévérer dans une voie dans laquelle il s’est déjà investi (”j’ai quand même pas fait tout cet onboarding pour rien ?”)
Il faut prioriser les chantiers dans le produit selon l’ordre dans lequel l’utilisateur les découvre. C’est logique : si on commence par optimiser ce qu’il est censé découvrir en bout de chaîne, il aura eu mille occasions de désinstaller le produit avant.
Bref, c’est comme ça qu’on a réduit la dimension du problème. On est passé d’un problème de rétention (très large), à un problème d’onboarding (très précis), qui allait avoir de l’impact sur la rétention in fine.
L’unique but de l’onboarding
On appelle activation le moment où l’utilisateur expérimente la valeur d’un produit — une espèce de “aha moment”. Eh bien l’unique but de l’onboarding, c’est de minimiser la durée qui sépare l’installation du produit de l’activation de l’utilisateur (time-to-value → 0).
Pourquoi le nôtre était mauvais
C’est quoi un utilisateur activé pour recruitivity ? Pour le moment, c’est juste un utilisateur qui a sauvegardé un premier profil LinkedIn dans Notion. Or, pour que ce soit possible, deux conditions doivent être réunies :
recruitivity doit avoir accès à son workspace
Il doit avoir installé notre template de base de données.
Et rien que ces deux conditions lui demandent de passer par pas mal d’étapes (se connecter à Notion, installer le template, revenir sur LinkedIn, choisir un profil, l’enregistrer, constater qu’il est bien dans la base de données).
Un peu comme un mail qu’on enverrait à quelqu’un qui ne nous connait pas encore pour lui demander une faveur, on a non seulement intérêt à avoir réduit le nombre de paragraphes au strict minimum, mais également à avoir rendu la lecture la plus agréable possible.
Sinon : poubelle.
Bref, si on combine les chiffres du haut, et les retours qualitatifs des utilisateurs (“j’arrive pas à me connecter à Notion”, “j’arrive pas à enregistrer un profil”, “je trouve pas le template”, etc.) on comprend facilement que notre onboarding était défectueux et que c’était bien ça notre priorité.
Heureusement, je crois qu’on vient de faire un bond en avant en s’appuyant sur les meilleurs préceptes du growth, du design et de la psychologie — à commencer par le framework psych.
Notre nouvel onboarding, en trois étapes
Etape 0 : battre le fer tant qu’il est encore chaud
Théoriquement, la jauge de psych de nos utilisateurs (la jauge d’énergie, grignotée ou rechargée par leur utilisation du produit) est haute lorsqu’ils viennent d’installer l’extension (joie et curiosité de la découverte).
L’idée était de tabler sur ce haut niveau d’énergie pour les emmener jusqu’à l’apothéose : l’activation — le “aha moment”. On veut battre le fer pendant qu’il est encore chaud.
C’est pour cette raison que l’onboarding démarre immédiatement après l’installation de l’extension, par l’affichage d’une roadmap d’onboarding :

C’est une bonne pratique car :
elle permet de rappeler à l’utilisateur la raison de sa présence et le bénéfice qu’il va en tirer (”never copy-pasting information from LinkedIn again”)
il comprend qu’il n’aura pas besoin de faire Les Douze Travaux d’Astérix pour utiliser l’outil.
En clair, on met l’utilisateur sur un toboggan à partir du moment où il installe l’extension et on fait tout pour qu’il glisse dessus le plus confortablement possible, jusqu’à l’activation.
D’ailleurs, je parle de toboggan, mais je devrais plutôt parler de piste de bowling et des rails qu’on a mis dessus.
Etape 1 : les rails sur la piste de bowling
En fait, la première étape sur cette piste de bowling, c’est la connexion à Notion. Comme on peut s’en douter, si l’extension permet d’enregistrer des profils LinkedIn dans une base de données Notion, à un moment, il faudra bien se connecter à Notion.
Sauf que le workflow de connexion de Notion n’est pas idéal. Il y a une étape dont on se serait bien passé : celle où on propose à l’utilisateur d’utiliser ou bien le template qu’on lui suggère (nous, les développeurs de recruitivity) ou bien les pages Notion de son choix.

Il nous fallait un moyen de lui indiquer que c’est très important de choisir l’option “template des développeurs”. Et je suis pas peu fier de l’idée qu’on a trouvée 🙂

Regardez attentivement 👀
C’est ce qu’on appelle un nudge — une petite pichenette qui sert à pousser l’utilisateur dans la bonne direction, en lui laissant le choix de ne pas suivre nos indications.
Par la suite en revanche, nous avons décidé de ne plus lui laisser.
Etape 2 : l’activation, la vraie
Minimiser les choix
Une fois l’utilisateur connecté à Notion, il doit enregistrer un premier profil LinkedIn. C’est l’étape la plus importante de notre onboarding : l’étape d’activation.
Mais tant qu’à enregistrer un profil LinkedIn, autant bien le choisir. Autant rediriger automatiquement l’utilisateur vers son propre profil.
Vous devinerez facilement pourquoi on a fait ça 😏 C’est une manière un peu astucieuse de faire d’une pierre deux coups et de recueillir des infos clés le concernant (s’il est recruteur, freelance ou CDI, dans quel pays, etc.).
Mais pas seulement.
Une fois que l’utilisateur arrive sur son profil, il faut encore qu’il l’enregistre. Donc, toujours dans le but d’aller vite (time-to-value → 0), on veut minimiser les clics.
Et cette fois-ci, pour y parvenir, on ne veut pas laisser le choix à l’utilisateur. Voilà pourquoi on fait s’ouvrir l’extension automatiquement.
Progressive disclosure
recruitivity comporte pas mal de fonctionnalités mine de rien. Mais, pendant l’onboarding, on s’en fiche.
En vertu du principe de progressive disclosure, on préfère ne pas accabler l’utilisateur, et attendre pour dévoiler nos fonctionnalités.
Or, là, la seule fonctionnalité qui nous intéresse pendant l’onboarding, c’est enregistrer un profil. C’est pour ça qu’on a réduit l’opacité de l’ensemble du formulaire, à l’exception d’un seul élément…

…le bouton “Save your first profile ✨”
Ensuite, une fois que l’utilisateur a cliqué sur le bouton, il faut absolument l’avertir que le profil a bien été enregistré, et qu’il sache où dans son workspace Notion.
On aurait pu mettre un simple call to action sur lequel il aurait eu la liberté de cliquer pour être redirigé vers le profil sauvegardé dans Notion.
Mais dans cette section — vous l’avez compris — on se préoccupe assez peu de liberté 🌝
Ainsi, dès lors que l’utilisateur enregistre son premier profil, on le redirige automatiquement vers le profil qu’il vient d’enregistrer, sous le format “side-peek” pour qu’il voie qu’il est bien dans une base de données.
C’est son “aha moment”. Ça y est, il est activé 🎉
Abordons maintenant une des choses dont je suis le plus fier dans tout ce processus d’onboarding.
Ne pas réinventer la roue
Puisque l’utilisateur est activé, en vertu du principe de progressive disclosure déjà énoncé, on peut commencer à lui présenter les autres fonctionnalités (détection de doublons, mise à jour des profils déjà présents, édition des champs, sélection des bases de données, etc.).
Comment faire ? Une nouvelle roadmap ? Des modifications dans le produit pour révéler les fonctionnalités au fur et à mesure ?
Non.
C’est long. C’est laborieux. On peut faire beaucoup mieux.
Notion, non seulement c’est joli, mais en plus c’est parfait pour inclure n’importe quel type de média. On a décidé d’en profiter.
Au moment où l’utilisateur enregistre le premier profil, au moment où il est redirigé vers la page qui vient d’être créée, il découvre qu’on l’a agrémentée d’un petit cadeau…

…un tutoriel vidéo qui lui explique toutes les autres fonctionnalités ☄️
Etape 3 : champagne
Voici venue la toute dernière étape de notre roadmap d’onboarding. Celle qui pose les fondations de la rétention : épingler l’extension dans le navigateur.
Mais, en réalité, si cette dernière étape est importante, ce n’est pas tant pour ces histoires de rétention, que parce que c’est la dernière justement. Elle clôture le flow d’onboarding. C’est donc le moment de congratuler l’utilisateur.
Il ne faut surtout pas tarir d’éloges, pour deux raisons :
il doit comprendre qu’il est arrivé au bout de l’onboarding, qu’il n’a plus rien à faire pour utiliser l’extension
il doit être satisfait d’en être venu à bout et sentir que la friction initiale en valait la peine.
Et pour ça, on a utilisé des éléments de design assez classiques :
Du vert partout (vert = validé; rouge = erreur)
Un message de confirmation (”you’re ready to go!”)
El famoso confettis.


TL;DR
On ne remplit pas un tonneau percé : on optimise l’activation d’abord, la rétention ensuite, et l’acquisition enfin — pas l’inverse (même s’il faut quand même acquérir un minimum d’utilisateurs initialement, bien entendu).
Time-to-value → 0 : le but de l’onboarding c’est d’activer les utilisateurs le plus vite possible.
Battre le fer quand il est encore chaud : un onboarding induit nécessairement de la friction qui entamera la jauge de psych de l’utilisateur. Donc autant démarrer quand la jauge est bien remplie.
Bowling : l’onboarding est une piste de bowling la plus lisse possible sur laquelle on met des rails. On veut qu’à la fin — quoi qu’ait fait l’utilisateur — elle se clôture par un strike.
La carotte sous le nez : rappeler à l’utilisateur le bénéfice qu’il tirera du produit une fois l’onboarding terminé.
Dopamine : faire comprendre à l’utilisateur que l’onboarding ne prendra pas longtemps, et lui distribuer des petits shots de dopamine après chaque étape réussie. C’est le but de la roadmap et des étapes qui s’affichent en vert au fur et à mesure.
Éliminer la confusion :
pas de cassure visuelle dans le design des frames d’onboarding et de l’app elle-même
clarté absolue lorsque l’onboarding est fini
ne jamais avoir à se demander si “ça a bien marché”
etc.
Ego is the enemy : on est tenté de tout montrer d’un produit dont on est fier, mais il est plus judicieux de se réfréner (cf. progressive disclosure).
Un soupçon de dictature : une façon d’aller vite, c’est de ne pas laisser le choix (mais attention à la reactance).
Faire d’une pierre deux coups : il faut enregistrer un profil LinkedIn quoi qu’il arrive, donc autant bien le choisir. Lorsque des designers ont un choix arbitraire à faire, ils devraient raisonner de la même manière : comment faire d’une pierre deux coups ?
Des œillères : plus l’attention de l’utilisateur est divisée, moins l’onboarding a de chances d’aboutir. C’est une bonne idée de lui mettre des œillères et d’attirer son attention vers les éléments très spécifiques qu’il ne doit pas manquer (e.g le bouton “enregistrer”).
Ne pas réinventer la roue : plutôt que de mettre des gifs et des vidéos partout dans le produit, autant s’appuyer sur Notion avec lequel nos utilisateurs doivent de toute façon interagir.
Champagne : bien féliciter l’utilisateur quand il a fini.
Tout ces principes ne viennent pas de moi, je me contente de les recracher après avoir lu :
Product-Led Growth, de Wes Bush.
Cinq études de cas du phénoménal site growth.design :
Ce qu’il faut encore tenter
Labor Illusion : allonger artificiellement le temps d’exécution d’une fonctionnalité du produit si jamais son exécution normale est rapide au point de prêter à confusion.
Exemple : installation de gmail et synchronisation de 14 367 contacts en 200ms. C’est tellement rapide qu’on finit par se demander : est-ce qu’il les a bien tous synchronisés ?
Emails d’onboarding : effectuer la progressive disclosure par email. Dès que l’utilisateur fait quelque chose de significatif dans l’app, on lui envoie la bonne ressource par mail pour lui permettre d’aller encore plus loin.
Sound design : le son a un impact colossal sur nos émotions. Puisqu’on veut que la fin de l’onboarding soit une apothéose, on aurait pu utiliser du son en plus des confettis (ça par exemple lol).
Release ratée, sound design et write in public
Fin du suspens : voici l’erreur d’appréciation qui nous a plombé la release de recruitivity.
Je disais un peu plus haut qu’on aurait pu jouer un son à la fin de l’onboarding pour féliciter l’utilisateur et augmenter encore un peu sa satisfaction. C’est ce qu’on appelle du sound design et le sujet n’est pas si anecdotique. J’en ai fait un petit billet.
Write in Public - Episode 2 👇
À plus 🖖
Bastien.


