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Osmeña Peak
L'univers m'a un peu trop bien entendu.
Mercredi 1er janvier :
Je suis à table avec des amis. On se moque tous de mon portable et de sa coque à rabat de boomer et on convient qu’il serait temps d’en changer.
L’univers m’a BIEN entendu et a légèrement surréagi 🙂
Samedi 3 janvier :
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Je décide de me rendre à Osmeña Peak : un sympathique POV dans les montagnes du Sud-Ouest de l’île de Cebu aux Philippines.
J’enfourche mon scooter et, évidemment, 20 minutes après mon départ, il se met à flotter.
Pour ceux qui l’ignorent, “flotter” en Asie, ça ne veut pas dire “petite bruine parisienne et romantique”, mais plutôt :
L’OCÉAN PACIFIQUE TE TOMBE SUR LA TÊTE, LES ROUTES SE TRANSFORMENT EN RIVIÈRES, ET SI T’AS L’OUTRECUIDANCE DE CROIRE QUE TON PETIT K-WAY QUECHUA TE GARDERA AU SEC, PREPARE-TOI CAR LA MOELLE DE TES OS AUSSI VA BOIRE LA TASSE 🙂
Donc à mi-chemin entre l’hôtel d’où je suis parti et le pic, je suis trempé jusqu’aux os et j’hésite :
Est-ce que je fais demi-tour ?
Non.
Foi de Bastien, je vais pas m’arrêter en si bon chemin. Pis, ça va pas durer. J’apprécierai encore plus le coucher de soleil à l’arrivée, va !
Bon…
15 minutes plus tard :
le ciel est toujours en train de me tomber sur la tête
mes orteils sont en apnée dans mes pompes
et il me reste encore 15 bornes à faire.
Je repense à mes lectures sur les coûts irrécupérables et me résigne à rebrousser chemin. Jusqu’à ce que j’arrive à une intersection.
Je ne sais plus bien s’il faut tourner à gauche ou à droite. Je me décide donc à regarder Google Maps une nouvelle fois.
J’empoigne mon sac, entre mes jambes sur le plancher du scooter depuis tout ce temps. Et…
tiens, marrant, il est plus lourd que dans ma mémoire 🙂
Mon cœur bat à tout rompre, je l’ouvre précipitamment, et constate que l’inévitable est arrivé :
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Mon téléphone est en dos-crawlé dans 10cm d’eau boueuse au fond de mon sac.
Première bordée de jurons.
Le téléphone clignote et commence à chauffer. Je me dis que c’est miraculeux qu’il respire encore. C’est alors que le drame prend une toute autre envergure.
Quel autre truc absolument inutile pour observer un coucher de soleil, mais absolument vital quand on télétravaille pouvais-je bien trimbaler dans mon sac ? 🙂
Oui oui.
Avec toute la délicatesse dont je suis encore capable, j’extirpe mon MacBook Pro M2 du sac, sanglote en constatant que la pochette qui l’enveloppe est toute mouillée.
J’ouvre la pochette et en sors leeeentement l’ordinateur que j’avais acheté 6 mois auparavant, avec tout mon travail, toutes mes photos de voyage, et, horreur…
Un long filet d’eau s’écoule d’entre l’écran et le clavier de l’ordinateur avant même que je ne l’ouvre. Il ne s’allume plus. Claude-françoidé.
Deuxième bordée de jurons.
Puis la réalisation : vues les quantités d’eau, la probabilité que mon téléphone ou mon ordinateur s’en sortent indemnes est proche de zéro.
Flinguer l’un des deux, c’est déjà très chiant, mais, les deux en même temps, ça l’est exponentiellement : tous mes comptes pros et persos demandent une double authentification.
Comment est-ce que je vais :
récupérer l’accès à tous mes comptes
racheter ce qui doit l’être sans exploser mes plafonds de paiement
répondre à mes matches bumble 🌝
Troisième, quatrième et cinquième bordée de jurons.
“Mais Bastien, quid de l’ami avec qui tu voyages depuis un an ? Il peut pas t’aider ?”
En vacances avec ses parents sur une autre île pour le Nouvel An, j’apprenais la veille de ma mésaventure qu’il venait de chopper un parasite à cause d’un escargot (no joke) et rentrait en France pour se faire soigner.
Sur ce coup-là, je suis seul 🙂
Petit interlude : je partage cette anecdote avec vous car :
c’est un bon exercice de storytelling — une compétence qui me fait encore défaut
j’ai quelques conseils à partager si ça devait vous arriver (rdv à la fin).
Mon cerveau passe en mode résolution de problème. Le mal est fait, maintenant, la seule chose qui compte, c’est de revenir à la normale et de me remettre au travail au plus vite.
La priorité, c’est d’avoir Google Maps pour rentrer à Cebu City, à 100km d’ici, où je suis basé pendant la semaine et d’avoir de quoi faire les double-authentifications de tous mes comptes.
Bref, la priorité, c’est le téléphone. Et s’il est encore “””allumé””” (contrairement au MacBook en coma hydrique), c’est qu’il y a une chance de le réparer. Mais il faut faire vite : il chauffe dangereusement.
Donc, après avoir repris mes esprits (pas du tout), je prends mon sac par la peau des fesses, lui met la tête à l’envers, laisse s’écouler les ~3l d’eau qui s’y étaient accumulés, enfourche mon scooter, et bombarde jusqu’à l’auberge où je passe le weekend.
Je sèche sommairement mes affaires et expose mon problème à un groupe de jeunes en train de discuter dans les espaces communs.
Compatissante, l’une des nanas du groupe suggère de grimper à l’arrière de mon scooter et de me guider vers un magasin de réparation à proximité.
On débarque finalement dans un centre commercial, dans un stand tenu par exactement le genre de personnes à qui on veut confier son téléphone : un type ambiance rue Montgallet à Paris, avec un polo informe rentré dans son jean (informe aussi), un stylo bic derrière l’oreille et une palette émotionnelle réduite — ni enjoué, ni affligé. Un professionnel.
Il s’empare de mon téléphone, constate qu’il chauffe beaucoup trop, s’empresse donc de le disséquer et de poser son diagnostic :
“50% de chances que ton téléphone fonctionne après réparation. Par contre, j’ai pas le matériel pour le réparer moi-même, et ceux qui l’ont rouvrent pas avant lundi”
Je me résigne à accepter les choses telles qu’elles sont : si je veux initier les réparations avant la fin du weekend, il faut que je rentre à Cebu City le plus vite possible.
Bref, je dé-priorise l’objectif réparer le téléphone au bénéfice de l’objectif ne pas me paumer en rentrant à Cebu.
Et, finalement, en demandant aux passants et aux autres motards au feux rouges, j’ai retrouvé mon chemin sans encombres.
Je vous épargne pas mal d’étapes intermédiaires : reprendre contact avec ma famille, les allers-retours avec le magasin de réparation, la banque, l’achat d’un cahier pour écrire cette newsletter, …
On est jeudi quand j’apprends que mon ordinateur ne pourra pas être réparé et les données dessus (notamment mes photos de voyage depuis un an 🌝) ne pourront pas être récupérées.
Je comprends qu’avec le téléphone on n’est toujours sûr de rien, sauf d’une chose, c’est que ça va prendre du temps.
Bref, le coût d’opportunité à ne pas travailler (donc ne pas facturer mes clients) devient trop élevé : je suis contraint de tout racheter. Et là, les vraies réjouissances commencent.
Je dois recouvrer l’accès à tous mes comptes, sachant que la double-authentification depuis mon ancien téléphone est impossible et que je ne connais pas par cœur les mots de passe de mes adresses mails (sachant que sans les mdp de mes mails, je ne peux pas renouveler ceux de tous les autres comptes).
Honnêtement, je ne vois pas bien comment me dépêtrer de cette situation. Si je n’ai pas accès à mes mails, tout est perdu. Quand soudain, je réalise :
J’ai laissé mon ancien ordinateur à l’un de mes meilleurs amis, un mois plus tôt au Cambodge, pour qu’il le rapporte en France.
Dessus se trouvent l’essentiel de mes mots de passe, notamment ceux de mes adresses mails, qui, par ricochets, me permettront de récupérer tous les autres comptes. Sauvé.
Si vous recevez cette newsletter, c’est que ça a fonctionné.
Apprentissages
Venons-en aux conseils et apprentissages de cette mésaventure.
Pratico-pratiques
Même si vous ne vous retrouverez pas sous la pluie asiatique la semaine prochaine, vous pouvez toujours vous faire tirer votre sac dans la rue. Voici quelques conseils si ça arrivait.
Attention : Mes conseils ne sont pas optimisés pour la sécurité. Syncope assurée aux ingé cybersécurité qui décideraient de me lire.
Ce sont des conseils pour maximiser la vitesse de retour à la normale en cas de pépin, en maintenant un niveau de sécurité satisfaisant.
Apprenez par cœur le numéro d’un de vos proches. Rien qu’un seul.
Démultipliez les méthodes de récupération de vos comptes : en priorité une application de double-authentification comme Google Authenticator sur votre téléphone, mais ensuite, d’autres méthodes sur des appareils qui ne vous appartiennent pas (le mail de votre mère, le téléphone de votre frère, …).
Sauvegardez vos mots de passes dans un password manager sauvegardés sur le cloud. J’utilisais celui de Brave, mon navigateur, mais les mots de passe sont sauvegardés localement. Je suis donc passé sur celui d’Apple.
Certains outils comme Slack, Notion et Github, vous donnent des codes de récupération si jamais vous ne pouvez plus effectuer la 2FA. Vous comprendrez que si vos codes n’existent que sur votre ordinateur ou téléphone, ça ne sera pas franchement utile non plus donc :
soit vous les enregistrez en plus sous forme de notes dans votre password manager
soit vous les enregistrez ailleurs (clé usb, papier, …)
Partagez les mots de passe les plus importants (emails, comptes bancaire et apple) avec des gens de confiance (votre mère, votre frère, …).
Si vous utilisez le password manager d’Apple, vous pouvez créer des groupes et sélectionner des mots de passe à partager avec les membres du groupe.
Beaucoup de pépins nécessitent de sortir la carte bancaire et souvent pour des sommes conséquentes (sinon c’est pas marrant). Si les plafonds de paiement sont mal réglés, vous risquez de vous retrouver bloqués.
D’où l’importance d’avoir le mail de votre banque et votre identifiant quelque part. Je me suis donc créé une petite carte plastifiée avec ce genre de contacts et informations d’urgence.
(c’est la que les spécialistes de la cyber tombent de l’armoire. C’est vraiment pas sécurisé de faire ça. À vous de voir si vous êtes à l’aise avec une telle défaillance — sachez juste que c’en est une grosse.)
Faîtes des sauvegardes régulières du contenu de votre ordinateur sur le cloud ou sur un disque dur externe (lui-même protégé par un mot de passe). Je le faisais une fois par mois, je viens de passer à une fois par semaine (en incluant les photos) avec un point récurrent dans l’agenda bien sûr :
Pour ceux qui codent, ne garder pas votre code en local uniquement, utilisez GitHub quasi systématiquement et appliquez les conseils 1, 2 et 3 à votre compte GitHub bien sûr.
Bon, et puis si c’est bien sous la pluie asiatique que vous avez perdu vos appareils : ne le branchez surtout pas.
Séchez-en l’extérieur et faîtes-leur passer la nuit dans un bocal de riz si leurs dimensions le permettent (le riz, très sec, absorbera l’humidité), ou une nuit sous la climatisation sinon (la clim assèche l’air).
Demander et recevoir de l’aide
Parfois, en demandant de l’aide, on a peur de gêner, de mendier, d’avoir l’air louche, …
Mais la réalité, c’est que je ne me serais jamais sorti de mon pétrin si je n’avais pas demandé d’aide à tout un tas de personnes en chemin : ma famille, mes amis, les employés des hôtels, les magasins de réparation, les autres motards au feu rouge, etc.
En le faisant, j’ai observé un paradoxe dont j’avais entendu parlé auparavant : les gens font plus confiance aux gens qu’ils aident, qu’aux gens qui leur proposent leur aide.
On peut prendre l’exemple de cette inconnue qui, sans jamais m’avoir vu conduire, a quand même proposé de monter à l’arrière de mon scooter pour m’aider, et de jeter 45min de son temps par la fenêtre.
Je pense qu’on peut facilement s’expliquer pourquoi les gens sont ravis d’aider. Non seulement ça les fait se sentir importants et utiles (cf. How To Win Friends and Influence People → l’anecdote du road trip en France), mais ça ajoute aussi un peu d’imprévu dans leurs journées monotones.
Il suffit d’être sympathique et de ne jamais prendre leur aide comme un dû (i.e leur aide n’est pas un droit que vous réclamez, c’est une faveur qu’ils consentent à vous accorder).
Poussons encore un peu plus.
J’ai appris que le dénominateur commun à toutes les personnes au succès démesuré n’est pas l’intelligence, la beauté, ou la “désagréabilité” (même si ces traits peuvent aider).
Ce sont les “people skills” — les compétences humaines, pour étouffer les inimitiés, rallier des gens à sa cause, solliciter les bonnes personnes au bon moment, etc.
Auguste, neveu de Jules César, n’était ni le plus beau, ni le plus intelligent, ni celui aux exploits militaires les plus époustouflants (même s’il était au-dessus de la moyenne dans chacun des ces domaines, restons lucides).
Non, Auguste “had a guy”. Peu importe la tâche à accomplir, il connaissait une personne meilleure que lui en mesure de l’accomplir, et il savait la diligenter pour parvenir à ses fins.
Ainsi, Auguste bâtit l’Empire Romain.
(ça peut sembler froid et manipulateur. Pas vraiment. C’est en fait une manière d’aligner les intérêts : vous avez vos ambitions et pour les atteindre, vous donnez la chance aux personnes qui vous entourent de briller, sans hésiter à les récompenser chemin faisant.)
Deux semaines plus tard
Deux semaines après la mésaventure, les choses sont revenues à la normale. J’ai “””juste””” dû racheter un téléphone, un ordinateur et passer de Charybde en Scylla pour récupérer les accès à tous mes comptes.
La bonne nouvelle, c’est que j’ai beaucoup écrit dans le fameux cahier avant de tout racheter. Donc j’ai pas mal de contenu sympa à partager avec vous dans les semaines qui viennent.
Bref, aidez, faîtes vous aider quand les évènements l’exigent, et continuez de me lire ✌️
À plus,
Bastien.
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